Chantage et éducation : un drôle de tandem

La relation éducative est à double tranchant, partagée entre plaisir et limite, amour et responsabilité. Le chantage appartient à cette relation parents-enfants et chacun en joue, usant des cordes de l’affectif avec plus ou moins de discordance. Pour l’adulte, la conscience du jeu, son emploi à petite dose et la bonne définition des termes qui la caractérisent donnent certaines règles d’une partie qui ne fait que débuter : l’éducation.

Le chantage, sujet sans doute un peu tabou. Il existe peu de littérature sur le thème. On parle éducation, mensonges, bêtises, caprices, interdits, mais pas chantage. Pourtant, il est vieux comme le monde et depuis le XVIIe siècle, l’expression « faire du chantage » signifie « faire obéir, faire agir quelqu’un comme on veut ».

Un système de communication partagé

Dans les relations familiales, le plus grand maître chanteur n’est pas forcément celui qu’on croit. « Je ramasse si tu me donnes un bonbon » : chantage! Ce petit garçon de deux ans n’est pas bien grand, mais il possède déjà une sacrée connaissance des rouages relationnels. Sur l’autre plateau de la balance, on entend : « Si tu donnes un gros câlin à maman et que tu es très gentil, je t’emmènerai faire un tour de manège » : chantage encore… « Si tu fais dans ton pot, Maman sera tellement contente que…» : chantage toujours !
Le chantage n’est pas sain. Il fait nager tout un chacun en eaux troubles. En fait, il mélange dans son sac l’urgence d’une réaction, une bonne dose d’affectif et une belle quantité de manipulation émotionnelle. Chacun l’exerce sur l’autre mais la pratique d’un tel acte entraîne les deux protagonistes dans un cercle vicieux dont il vaut mieux se protéger. L’enfant doit comprendre et l’adulte le rejeter. Le chantage est à consommer avec beaucoup de modération.

Recadrer d’un côté, ne pas abuser de l’autre…

Du côté de l’enfant

Le chantage est essentiellement affectif. Mais il ne doit pas être interprété par les parents comme l’expression d’un caractère intéressé et calculateur. C’est un outil qui permet au petit de tester ses propres capacités à entrer en contact avec son environnement, l’impact sur le monde qui en résulte et enfin le pouvoir d’en mesurer les limites. Au début, cela fait souvent sourire et on pense à l’affirmation du caractère. Mais méfiez-vous, la réaction parentale ferme ou laxiste donne tout de suite le ton et induit le comportement de l’enfant et ses abus à venir.
Parfois, la maman paie très cher les conséquences d’un chantage si l’enfant décide par exemple d’en jouer sur le plan alimentaire. Il ne veut plus manger. L’échange nourricier mère-enfant est tellement primordial et fondateur, il engage si fort le lien affectif que l’enfant s’en sert comme d’une arme contre sa mère.

Il joue sur la corde sensible, la fibre maternelle nourricière. C’est un jeu dans lequel il ne faut surtout pas rentrer. L’avis médical voire l’accompagnement psychologique aide les couples à surmonter cette difficulté. Au quotidien, les choses sont bien moins dramatiques. Il est cependant intéressant de voir combien cette notion de chantage est vite assimilée.

Du côté des parents

Elle induit souvent la notion de récompense : « Si tu te tiens tranquille, tu auras un bonbon…».
L’équation «sage = bonbon » devient alors systématique dans l’esprit de l’enfant, comme le rapport « bêtise = punition ». Ce schéma comportemental est réducteur. S’il peut être une bouée de secours pour les parents dans des situations d’urgence où le calme est nécessaire, il ne faut surtout pas en abuser. L’enfant doit apprendre à réfléchir et à raisonner par rapport à une situation et non pas agir sagement pour une récompense ou pour faire plaisir à maman. Il faut du temps et de nombreuses  situations différentes pour progresser dans les échanges humains.

Chantage et culpabilité

Une facette plus sournoise du chantage peut aussi faire son chemin et prendre l’habit de la culpabilité profonde. « Si j’avais été plus sage, Papa ne serait pas parti ? » L’enfant croit que la séparation de ses parents est la conséquence d’un acte de méchanceté de sa part. Tout se mélange dans sa tête : faute, abandon, punition. Si les parents sont en conflit, il est primordial de toujours expliquer à l’enfant que cette situation n’est pas de son fait. Les phrases assassines sont donc particulièrement à éviter en cas de séparation. La culpabilité peut aussi être du côté des parents, parce que même s’ils usent tous du chantage, à un moment ou à un autre, par facilité, la plupart n’en sont pas fiers : on ne s’aime pas beaucoup dans ces cas-là ! Dédramatisons ! Une fois la chose faite, il s’agit d’abord de tenir sa promesse. « Je t’ai promis une surprise si tu rangeais les cubes, ok, je te la donne, mais on n’en parle plus. » L’enfant doit garder confiance en l’adulte éducateur.

Montrer l’exemple !

Ensuite, il faut prendre du recul et se méfier de réactions sur le vif.
En éducation, il ne s’agit jamais de faire céder l’enfant, mais plutôt de lui faire comprendre quelque chose pour lui permettre une insertion sociale la plus favorable possible.
Il faut aussi se rappeler que les comportements sociaux des enfants sont souvent le reflet des modèles qu’on leur propose. L’enfant ne sait pas et apprend par mimétisme et par répétition. Des situations de chantage qui se répètent doivent donc faire réfléchir les parents par rapport à leur propre démarche. Observez-vous ou votre entourage et proposez à l’enfant d’autres modèles de résolution de différends.

Savoir dire non

Pour les parents, il s’agit aussi d’apprendre à dire non pour se faire obéir et de tenir sa parole. On pose des interdits et on donne des repères. Dès neuf ou dix mois, l’enfant interprète très bien un non ferme et définitif. C’est beaucoup plus efficace à la longue que de se battre sur tous les points et du même coup d’user du chantage à tout bout de champ.
Si l’enfant se bute et vous semble provocateur, pas de chantage. Laissez tomber pour le moment et essayez à nouveau plus tard. Les enfants ont souvent une grande capacité d’adaptation et d’oubli. Apprendre à les persuader d’agir est de toute manière bien plus intéressant pour votre gloire éducative que d’user du chantage, méthode qui reste bien vile.

Lutte antichantage

• Proposez à l’enfant plusieurs alternatives pour se sortir d’une mauvaise situation.
• Ne soyez pas plus têtu(e) que votre enfant. Apprendre à céder fait aussi partie du jeu.
• Faites preuve de constance et de cohérence dans vos comportements.
• Parlez et expliquez puis accompagnez l’enfant pour ne pas trop heurter son amour propre.
• N’insistez jamais sur votre réussite si vous avez conduit l’enfant à changer d’attitude.
• N’exercez jamais une once de chantage affectif sur l’enfant. Votre amour est pour l’instant son solide point d’ancrage.

Article rédigé en collaboration avec Astrid CHARLERY – journaliste spécialisé dans l’enfance

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