Podcast expert : Le lien d’attachement, sentiment fondateur du développement de l’enfant, est autre chose que l’amour

Entretien avec le Professeur Chicoine, pédiatre au CHU Saint-Justine et professeur agrégé au département de pédiatrie de l’Université de Montréal, lors du congrès EXPLORE, organisé par les Instituts de la Parentalité à Bordeaux en septembre 2023.

Retranscription de l’entretien avec le Professeur Chicoine :

Valérie Sainsimon : Professeur, on va parler d’attachement et l’attachement ce n’est pas l’amour ?

Professeur Chicoine : Ah non, l’amour c’est un sentiment plus évolué que l’attachement. L’attachement est un sentiment plus primitif, mais à la limite, plus fondamental. C’est ce qui nous permet, lorsqu’on est bébé, une relation de proximité, de contenance, de répétitivité avec un adulte pour survivre dans un premier temps à travers lui.

Mais ensuite, pour surtout s’apaiser, diminuer les peurs d’origine, le stress du petit bébé qui grandit, l’incompréhension du monde parce qu’on n’est pas encore à un stade de développement qui nous permet de mieux le comprendre. Attachement qui nous permet ensuite de nous développer à tous les niveaux, (moteur, cognitif, langagier), qui nous permet d’avoir une représentation positive de nous-mêmes, puisqu’on a été aimé, que notre mignonnerie, notre capacité d’attirer un adulte a fonctionné.

Cela nous permet ensuite de reproduire ça sur les autres, donc d’avoir cette même anticipation des autres, ce même geste d’altérité, cette même compréhension, cette même empathie des autres, du monde, et de l’univers.

Les enfants qui ont un attachement sécure sont des enfants qui sont mieux avec eux, mieux régulés et mieux partis dans la vie que ceux qui ont un attachement insécure, ce qui ne veut pas dire, et c’est ça l’intérêt d’un colloque comme aujourd’hui, ce qui ne veut pas dire qu’on ne peut pas intervenir à différents des moments. C’est plus facile dans les trois premières années de la vie et ça se fait toujours, à travers toute l’adolescence des enfants et puis même chez les jeunes adultes, puis peut-être même chez les adultes.

L’Initiateur de la théorie de l’attachement disait que c’était du berceau à la tombe, l’attachement sécure ou insécure. C’est une formule un peu lapidaire. Dans le tiers des cas, on est capable de changer son modèle d’attachement.

Malheureusement, devenir plus insécure alors qu’on a eu des bons parents parce qu’il s’est passé d’autres événements dans notre vie qui ont fait qu’on a eu une fragilité dans nos rapports avec les autres. Et souvent, devenir plus sécure parce qu’il y a des éducatrices qui se sont occupées de nous, un tuteur de l’attachement, où on a été adopté, où on a trouvé tout un écosystème qui a compris qu’un petit bébé ne demande que d’être mignon.

Valérie Sainsimon : Ce qui est bien, c’est que rien n’est définitif, mais vous avez utilisé une image avec la carte bleue, que j’ai beaucoup aimée. Est-ce que vous pouvez nous la redonner, s’il vous plaît ?

Professeur Chicoine : Pour distinguer l’amour de l’attachement, je prends comme exemple une relation amoureuse qui vient de s’enflammer, si je puis dire.

Au début, c’est un flirt, puis ensuite, c’est une bonne relation amoureuse. Mais ce n’est peut-être pas encore le moment, dans la première, la deuxième ou peut-être la troisième année, de partager son code de carte de crédit avec le conjoint ou la conjointe aimée. Ça, ça prend du temps, ce qu’on appelle en théorie de l’attachement un partenariat corrigé quant au but.

Et le partenariat quant au but qui permet le partage de code de cartes de crédit, éventuellement de compte bancaire, prend à peu près trois années avant d’y arriver, malgré l’amour. Et c’est là que l’amour ne suffit pas si l’apaisement et la sécurisation affective obtenu par l’attachement n’est pas efficace.

On ne donne pas son code de carte bancaire tout de suite. Pourtant, le bébé doit très vite, lui, pour ses besoins naturels, doit faire confiance à sa maman, ce lien d’attachement, c’est un sentiment primaire ? Le bébé va faire confiance à ceux qui offrent leur confiance aussi et qui répondent. C’est d’ailleurs le bébé qui dirige, malgré les actions des adultes.

C’est le bébé qui, très jeune, interagit avec l’autre, par attention, par régulation, par motivation. Les interactions précoces sont très importantes. Et le parent, c’est l’effet miroir, va réagir. Et s’il réagit peu, le bébé va même le montrer physiquement. S’il réagit beaucoup, le bébé va être content.

Et tout ceci s’enclenche tranquillement dans une relation, une valse relationnelle, si je puis dire, qui fait que vers l’âge de 8-9 mois, le bébé va s’attacher tout particulièrement avec une personne, généralement sa maman, mais pas obligatoirement, et 2, 3, 4, 5 autres personnes par hiérarchie.

Cette phase est extrêmement importante dans la fondation d’un individu, le 8-15 mois, où l’enfant peut se sécuriser avec une personne en particulier et commencer à explorer. L’idée de l’exploration n’est possible que parce qu’il y a eu attachement.

Je dis toujours, mais c’est absolument faux, que Christophe Colomb devait avoir une bonne mère puisqu’il est parti découvrir l’Amérique, faussement parce que les théories ont changé depuis. Mais pour explorer, il faut être attaché. Alors c’est cette balance entre l’apaisement et l’exploration, la provocation, la séparation qui est importante. Mais pour bien se séparer, pour ne pas culbuter, pour ne pas être anxieux, colérique ou dépressif, il faut avoir vécu cette relation d’exception avec un ou quelques individus de proximité qui sont des tuteurs d’attachement.

Valérie Sainsimon : Pourtant, on parle d’une sensibilité pour être parent, or on n’est pas égaux devant cette sensibilité, ce n’est pas facile en fonction de son histoire naturelle ?

Professeur Chicoine : Je dis à certains parents, on peut être une bonne personne et manquer de sensibilité. Parce qu’il ne faut pas non plus précipiter les parents qui seraient moins sensibles que d’autres dans la culpabilité ou la honte. Parce qu’ils ont eu aussi leur propre relation d’attachement, comme vous, comme moi.

Nous sommes tous tributaires de ce que nous avons été. Et tout ça, est ravivé à l’occasion d’une nouvelle relation d’attachement. La sensibilité, c’est une des compétences parentales, pas essentiellement maternelles, qui est à la base du lien qui va permettre l’attachement.

Je parle de lien quand je fais du parent à l’enfant et je parle d’attachement quand je fais de l’enfant au parent. Alors, ce lien-là, il est tributaire de la sensibilité, mais la sensibilité, ce n’est pas que la sensiblerie, que l’émotion. La sensibilité, c’est aussi un processus cognitif, c’est la perspicacité, ce qu’on appelle aussi la réflexivité parentale, la capacité d’aller au-delà du besoin de son enfant.

En dehors de la sensibilité, il y a la disponibilité, où là, les parents d’aujourd’hui sont absolument nuls. Pas parce qu’ils sont indisponibles, mais parce qu’ils sont sur des outils sociaux, sur des téléphones, sur plein de trucs qui montrent à l’enfant dans son quotidien qu’il n’est pas la chose la plus importante au monde et il en prend ombrage.

Et ça, c’est très, très triste pour les bébés d’aujourd’hui. Il ne faut pas nourrir un enfant en regardant son téléphone, il ne faut pas se promener avec lui en montrant que l’individu au bout de la ligne est plus intéressant. C’est hyper humiliant pour un petit bébé et ça les dérégule et ça fait que l’attachement se consolide moins facilement.

Il y a aussi la capacité d’accepter l’enfant tel qu’il est, dans ses limites, dans ses couleurs, dans son tempérament, dans sa manière d’être.

Il y a aussi une autre qualité qui est importante pour installer l’attachement, vous, les Français, vous êtes bien bons là-dedans. C’est la provocation, c’est l’activation, c’est la capacité de dire « vas-y, vas-y, vas-y, vas-y, t’es capable, t’es capable, t’es capable ». À ça, les Québécois, on est moins bon là-dedans. On est plus dans le genre un peu sensible, poussif, contenant.

Et cette capacité d’activation, elle est bonne pour les parents qui voudraient faire un couple avec l’enfant, qui passent trop de temps avec leur enfant, qui dorment avec leur enfant la nuit. Ce sont des enfants qui ont besoin d’être activés par une deuxième figure parentale.

Alors c’est sûr que la monoparentalité, la complexité des nouvelles familles fait que l’activation est difficile. Mais je vois souvent des enfants qu’on tente d’activer mais qui n’ont pas été suffisamment attachés. Alors ça, ça ne marche pas non plus.

Et puis une dernière chose qui est importante. Et moi, je le vois dans les films français, c’est la capacité de mettre cet enfant-là dans sa famille, sa famille proche puis sa famille élargie, et éventuellement dans sa grande famille. Et tous les repas, les sorties en famille, les sorties dans la nature, tout ce qui a rapport à l’écosystème, le sport, la vie, va amener, en fait, va renforcer l’attachement et va permettre à l’enfant de mieux se réguler cognitivement et affectivement.

Et un enfant qui est mieux régulé est un enfant qui s’adapte mieux à la situation. Mais attention, ce n’est pas parce qu’un enfant est adapté qu’il ne dit rien qu’il est heureux et qu’il n’a pas de stress. Il faut aller au-delà de l’adaptation.

Et là, ça, c’est le bien-être. Et pour le bien-être, bien, ça vous prend les émotions à la bonne place, les sentiments. C’est une fabrique de sentiments, en fait. C’est une fabrique d’images de la vie, l’attachement. Ces sentiments-là, ils se fabriquent grâce à l’attachement et ils vont être porteurs de bien-être pour l’enfant.

Parce que c’est ce qu’on veut viser, au fond, ce bien-être-là, c’est Tchekhov qui a écrit, il a peut-être dit, mais je n’étais pas là, même s’il était médecin, lui aussi : « il ne faut pas voir le monde tel qu’il est, ni tel qu’il devrait l’être, mais tel qu’il nous apparaît dans les rêves ». Et ça, c’est la meilleure définition de l’attachement que je connaisse.

C’est de créer des rêves qui peuvent être actualisés dans le présent et dans le futur de l’enfant. Et je ne vois pas pourquoi on ferait autrement, qu’on se priverait pour faire moins bien.

Comme conclusion, je ne peux rien rajouter. Je dois avouer que c’est difficile de rajouter quelque chose. Je pense que j’étais là pour le meilleur, comme a dit l’autre conférencière.

Valérie Sainsimon : Exactement. Merci infiniment, professeur.

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