Podcast expert : Ce que ressent bébé

Entretien avec le docteur Thierry Cardozo, responsable de l’unité parentalité, petite enfance, direction de la prévention, promotion de la santé, Santé publique France, lors du congrès EXPLORE, organisé par les Instituts de la Parentalité à Bordeaux en septembre 2023, aborde les ressentis de bébé.

Retranscription de l’entretien avec Thierry Cardozo :

Valérie Sainsimon : On dit souvent que les bébés et les enfants sont des éponges. Pourriez-vous nous parler des interactions intra-utérines entre la mère et le bébé ?

Thierry Cardoso : Oui, alors c’est une belle question parce qu’on sait des choses depuis longtemps, mais les mécanismes et finalement, comment tout ça fonctionne, c’est assez récent qu’on commence à avoir pas mal d’informations.

Savoir que, évidemment, le bébé, et ce n’est pas un scoop, il se développe dans le ventre de la maman et notamment au niveau de tout l’appareil sensoriel. Il y a un certain nombre de sens qui sont particulièrement actifs pendant la grossesse, notamment le toucher, le goût.

Mais l’enfant reçoit aussi les vibrations, les vibrations sonores, les émotions. Les émotions d’une manière très particulière, puisque les émotions de la maman vont faire des modifications hormonales, dont certaines peuvent traverser la barrière placentaire et faire déglutir l’enfant.

Par exemple, lorsqu’il y a beaucoup de cortisol lors de la sécrétion du fait de stress chronique, eh bien l’enfant va lui-même être impacté. Donc il y a des impacts qui sont physiques, puis des impacts qui sont plus intérieurs.

On peut imaginer, et on a des travaux qui montrent que si on ne fait rien au moment de la naissance, on peut avoir des effets qui peuvent être défavorables pour le développement de l’enfant. Donc on va essayer, évidemment, prendre soin du bébé à partir du moment où on connaît la situation de la maman.

Valérie Sainsimon : On a parlé ce matin que plus un enfant recevait de câlins, plus il devenait empathique. Il faut que la câlinothérapie soit prescrite pour aider notre société ?

Thierry Cardoso : Ce qui est intéressant, c’est qu’on le sait depuis très longtemps chez les mammifères. C’est le réflexe des mammifères. Regardez une maman chimpanzé, une maman nôtre, il y a ce geste de prendre vraiment dans les bras. Donc on peut dire que c’est une manifestation d’affection, d’amour, bien sûr.

Et Ruth Feldman, qui a fait tous les travaux sur l’ocytocine et mettre en lumière le rôle de cette hormone si particulière qu’on appelle l’hormone de l’amour, qui est l’hormone de la relation, En fait, à partir du moment où on reçoit des câlins, il faut environ 30 secondes. C’est très précis. Vous pouvez le faire sur vous- si même vous vous caressez vous -même le bras, avec l’autre main, au bout de 30 secondes, vous allez sentir un effet plutôt de bien-être, quelque chose.

Eh bien, ça, ça vient de la sécrétion qui est activée, d’ocytocine. Quand on baigne finalement dans cette ambiance-là, effectivement, il y a des travaux qui ont suivi le développement des enfants, puis ensuite des adolescents. Alors évidemment, ça ne va plus être des câlins, mais ça va être une autre forme d’interaction. Ça va être, par exemple, à l’adolescence, le dialogue.

Donc on voit que si l’interaction est chaleureuse, affectueuse et adaptée en fait à la maturité de l’individu, il a pu être montré que ces enfants, qui ont bénéficié plus de câlins dès les premiers temps par rapport à d’autres enfants, prématurés en couveuse et qui avaient moins d’interaction (bien sûr qu’ils avaient des temps avec les parents, mais ce n’était pas autant qu’un enfant à terme), on a pu voir que ça faisait des adultes qui étaient plus empathiques, qui avaient plus de tendance à avoir des relations apaisées avec leur pairs.

Valérie Sainsimon : On connait l’influence du stress de la maman sur le développement du bébé. On sait que le stress peut être négatif et pour les mamans qui sont stressées, c’est difficile de ne pas avoir le stress du stress sur le développement. Vous nous avez parlé aussi de la vulnérabilité. On entend souvent qu’il faut un village pour élever un enfant. Qu’est-ce que vous pouvez nous dire et donner comme conseils pour les mamans ?

Thierry Cardoso : C’est une belle question. D’abord, il y a un stress et un stress. Le stress, maintenant, c’est devenu un mot tellement valise et galvaudé qu’il ne faut pas confondre. Il ne s’agit pas du stress naturel, finalement, qui est se sentir concerné par son enfant. Souvent, on traduit cette idée-là, le fait qu’on se soucie de son enfant, qu’on veuille que tous ses besoins soient satisfaits. Ça, ce n’est pas du stress, ça peut provoquer une forme de stress, mais ce n’est pas ce stress-là dont on parle ici.

On parle de ce qui va faire que la maman n’a plus les ressources pour faire face à la vie elle-même, à l’expérience de vie qu’elle mène, au vécu qu’elle a. Donc là, on parle vraiment des situations durables qui peuvent être la précarité, la souffrance des besoins fondamentaux qui ne concernent pas nécessairement directement le bébé, mais qui concernent la vie que la maman vit. Ça peut être aussi une maladie chronique qui l’empêche, par exemple, d’être suffisamment disponible pour son enfant une fois qu’il est né.

Ça peut être bien sûr des problèmes de couple, voire de la violence intrafamiliale, mais aussi la précarité sociale, la précarité économique, l’isolement. Donc on voit que là, ce sont des situations durables qui vont tellement agir sur la maman, l’organisme de la maman, qui va vraiment entraver sa disponibilité à son enfant.

Donc j’irai de manière un peu inconditionnelle, pour rassurer, tout ce qui va être même un moment ensemble avec son bébé va être un moment fondateur pour le bébé. Mais ce qui est formidable et ce qu’on a pu montrer aujourd’hui avec les connaissances scientifiques, c’est que c’est une boucle vertueuse. C’est-à-dire que si je m’occupe même cinq minutes, j’ai vraiment une attention à mon bébé, même si je ne comprends pas ce qui se passe. Mais je suis là avec lui, il pleure, je ne sais pas très bien ce qui se passe, mais OK.  Et le bébé, lui, envoie à sa maman qu’il est là, même si la maman ne comprend pas et est un peu démunie, ne sait pas quoi faire. Par contre, le bébé, lui, il rentre en interaction avec la maman. La présence de la maman, même, je dirais, sans aucune apparente compétence, en réalité, est une extraordinaire compétence d’être juste là, d’être dans ce souci de l’autre.

À ce moment-là, le bébé, lui, va le ressentir et ses réactions vont venir nourrir la maman qui va se rendre compte que le bébé réagit. S’il y avait vraiment quelque chose à privilégier, c’est nourrir cette interaction, quelles que soient les conditions, qu’elles soient les difficultés. On peut toujours nourrir cette interaction et le peu de temps qu’on peut y accorder, c’est toujours ça.

Valérie Sainsimon : Ne pas avoir peur de mal faire, quelque part.

Thierry Cardoso : Surtout pas, en fait, parce qu’il n’y a pas de recette.

Chaque individu va avoir son expérience unique avec une interaction avec une personne. On le voit nous-mêmes dans notre vie quotidienne, on a plein d’interactions, des fois complètement inattendues, la plupart d’ailleurs, mais si on a envie de l’interaction et bien on va la nourrir et ça va être un moment finalement qui va nous nourrir et on va dire tiens cette personne elle était sympa ou agréable. Par contre si on n’a pas envie de l’interaction on va finalement peut-être plutôt que s’intéresser à l’interaction qui n’était pas tellement nourrie, on va plutôt juger la personne on va dire que cette personne n’est pas agréable. Mais en réalité, si on interroge l’interaction, peut-être que nous, on n’était pas agréable pour la personne non plus.

Donc, vous voyez qu’ici, s’il y avait vraiment un message à passer, et il y en a un, c’est de nourrir l’interaction, quelle que soit.

Alors après, ça peut être dans les moments où on va changer son enfant, les moments qui peuvent paraître parfois répétitifs, sans saveur. Une maman a le droit de sentir qu’elle s’ennuie mais le bébé ne lui s’ennuie pas. Bébé, lorsqu’il est en présence de sa maman, il ressent la sécurité de la présence et c’est ok pour lui.

Valérie Sainsimon : Merci beaucoup Docteur Cardozo, merci beaucoup pour les futurs et jeunes parents.

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