Podcast Expert : Avoir une famille c’est se donner

Entretien avec le Professeur Tarabulsy, professeur titulaire à l’école de psychologie de l’université de Laval au Québec, lors du congrès EXPLORE, organisé par les Instituts de la Parentalité à Bordeaux en septembre 2023.

Retransciption de l’entretien avec le Professeur Tarabulsy :

Valérie Sainsimon : Nous allons parler d’attachement. Pouvoir-vous nous définir l’attachement et nous dire si au Québec c’est une notion qui est un peu plus développée qu’en France ?

Professeur Tarabulsy : Alors l’attachement se définit comme étant une relation affective qui organise l’enfant au quotidien dans sa physiologie, dans sa neurologie, dans son comportement, dans ses émotions et dans ses rapports sociaux.

C’est quelque chose qui aide l’enfant à s’organiser dans son monde. Nécessairement, ça côtoie le développement de son cerveau, puis ça organise, ça aide à organiser son cerveau. C’est une théorie qui date des années 60 et qui a été validée au cours des 30-40 dernières années, à partir d’observations assez systématiques, assez objectives.

Donc, ce n’est pas juste une théorie. Maintenant, c’est devenu quelque chose dans lequel on commence à avoir confiance. On a saisi un élément important du lien parent-enfant et de la manière dont il impacte le développement de l’enfant.

Il y a certainement des différences Québec -France dans la compréhension, je dirais, et l’application. Au Québec, il y a une sensibilité dans les services sociaux, je pense, un peu plus importante par rapport à l’importance de l’attachement. Dans l’ensemble des programmes qu’on utilise, que ce soit des programmes en périnatalité ou dans l’intervention auprès des enfants d’âge préscolaire et scolaire, les gens sont davantage préoccupés de questions relationnelles et de savoir comment ça joue sur l’émergence des difficultés que peuvent expérimenter les enfants.

Je pense qu’il y a des raisons pour ça. Une des raisons, c’est qu’il y a eu pendant un certain temps une concentration de chercheurs au Québec qui ont été très investis, très impliqués dans les services sociaux, dans la formation, dans la recherche, mieux comprendre comment l’attachement se manifeste dans des situations de vulnérabilité familiale, par exemple. Et ces personnes-là ont eu cet impact de sensibilisation.

Je dirais aussi que le Québec, c’est plus petit que la France. C’est un huitième de la population de la France. Et c’est plus facile d’avoir un impact auprès d’un huitième d’une population qu’auprès de toute une population. On a encore des défis. Ça serait faux de dire que tout va bien. Il y a un rappel des défis.

Je pense qu’on a des défis de formation qui nous restent. Quand il y a une façon de faire qui est relativement nouvelle, qui s’impose comme étant incontournable, il faut qu’il y ait des aspects de la formation qui deviennent moins indispensables. Il faut enlever des choses et puis les gens ont beaucoup d’hésitation à changer les modèles de formation pour accommoder davantage d’informations sur l’attachement. C’est la même chose dans nos services. Nos services sont modelés, nos institutions d’intervention sont modelées sur la manière dont on comprenait les familles et le développement des enfants avec les données d’il y a une génération.

Et on voit maintenant qu’on aurait besoin de faire des ajustements dans ce domaine-là. Mais mise à part les différences dans la sensibilité, je constate aussi qu’il y a des choses en France qui sont en train de se faire pour améliorer la sensibilité par rapport à ce paradigme. Et on ne peut que s’en réjouir.

Valérie Sainsimon : Alors en France, c’est relativement récent, ça se développe.  Pour certains jeunes couples, c’est une pression, en fait, de se dire que ce premier lien d’attachement aura autant d’impact dans le développement du bébé. Justement, quels conseils leur donner ? Parce qu’il faut les déculpabiliser, suivre son intuition ?

Professeur Tarabulsy : Il y a deux façons d’aborder ce problème-là. Le premier, c’est de dire qu’être parent, ça ajoute un lot de responsabilité, de fardeau, et il y a quelque chose de nous qui doit passer dans la parentalité. On se met sur la table. C’est très concret, c’est très difficile, c’est don de soi.

Et il n’y a pas façon de parler de la parentalité d’une manière très, très différente. Si on essaie d’être trop cartésien en parlant de la parentalité, on perd de vue que c’est quelque chose de très important et dans lequel il y a beaucoup de responsabilité parentale.

Je pense qu’il ne faut pas perdre de vue cette idée-là qu’on se donne dans la parentalité. L’autre chose, c’est que l’attachement n’est pas la seule chose qui joue sur le développement de l’enfant. C’est important, c’est quelque chose qui émerge de nos interactions au quotidien, dans ce qu’on fait habituellement avec nos enfants. Mais ce n’est pas la seule chose. L’enfant arrive avec son propre bagage. Il y a un bagage génétique, un bagage tempéramental et émotionnel.

Il y a d’autres acteurs dans le dossier. C’est pour ça que d’habitude, on veut qu’il y ait deux parents, parce que deux parents, c’est quelque chose qui joue sur, s’il y a un parent qui ne va pas bien ou s ‘il y a une séparation, il reste un parent.

Alors, il y a d’autres choses qui se passent. Il y a des situations avec d’autres enfants, il y a des enseignants, il y a d’autres figures entre guillemets parentaux qui peuvent jouer un rôle sur le développement des enfants.

Il y a 2 choses :

  • L’importance d’être parent. Prenons ce travail là au sérieux et incarnons ce rôle. Donnons-nous d’une certaine façon à cette tâche.
  • Et l’autre chose, c’est que ce n’est pas la seule chose qui influence le développement de nos enfants.

Les parents influenceurs. Imaginez si les parents n’influençaient pas. Comment ça serait dramatique.Les parents influencent, mais il y a d’autres personnes et d’autres choses qui jouent sur le développement des enfants.

Valérie Sainsimon : Il y a d’autres choses, l’épigénétique, on en a parlé pendant ce congrès, mais le parent parfait n’existe pas.

Professeur Tarabulsy : Le parent parfait n’existe pas. Je pense qu’on ne sait même pas comment l’imaginer. Non seulement il n’existe pas, mais il n’existe même pas dans nos esprits.

Valérie Sainsimon : Même les chercheurs ne savent pas. Donc on donne le meilleur de soi-même, on y croit à fond, on est présent. La disponibilité, on en a beaucoup parlé ce matin pour favoriser ce lien d’attachement et être là, être présent.

Professeur Tarabulsy : Je pense que c’est quelque chose qui, dans notre société, où on organise nos horaires selon une espèce de portefeuille, on a du temps pour chaque chose, puis on essaie d’organiser, il va y avoir des vacances, il va y avoir le travail, il va y avoir… On perd de vue que les enfants viennent foutre le bordel dans tout ça. Puis les enfants nous disent, non, moi, j’ai vraiment besoin d’un parent, j’ai vraiment besoin que tu t’occupes de moi, j’ai besoin de cette aide là pour commencer ma vie.

J’ai vraiment besoin de ça. Ça fait vraiment partie, je pense, de notre grande remise en question en Occident. Je ne pense pas que c’est français ou québécois, mais commenter imagine la famille ? Ce n’est pas un programme de croissance personnelle.

C’est vraiment… Avoir une famille, c’est se donner. C’est apprendre à se donner.Ce n’est pas instinctif. Ça n’arrive pas tout seul. Il faut être intentionnel dans la démarche.

Et moi, je pense qu’en Occident, on aurait beaucoup à apprendre. Si on apprenait à mieux se donner, on aurait beaucoup appris, je crois.

Valérie Sainsimon : Merci beaucoup, professeur, pour cette introduction.

Professeur Tarabulsy : Ça fait plaisir, ça fait plaisir. Merci à vous. Merci de vouloir me parler de cette petite chose-là.

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